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mande, c’est accroissement de valeur. Donc les classes légèrement volées sont trop heureuses de l’être, puisque le produit du vol concourt à les faire travailler.

Tant que la loi s’est bornée à spolier le grand nombre au profit du petit nombre, cette argutie a paru fort spécieuse et a toujours été invoquée avec succès. « Livrons aux riches des taxes mises sur les pauvres, disait-on ; par là nous augmenterons le capital des riches. Les riches s’adonneront au luxe, et le luxe donnera du travail aux pauvres. » Et chacun, les pauvres compris, de trouver le procédé infaillible. Pour avoir essayé d’en signaler le vice, j’ai passé longtemps, je passe encore pour un ennemi des classes laborieuses.

Mais, après la Révolution de Février, les pauvres ont eu voix au chapitre quand il s’est agi de faire la loi. Ont-ils demandé qu’elle cessât d’être spoliatrice ? Pas le moins du monde ; le sophisme des ricochets était trop enraciné dans leur tête. Qu’ont-ils donc demandé ? Que la loi, devenue impartiale, voulût bien spolier les classes riches à leur tour. Ils ont réclamé l’instruction gratuite, des avances gratuites de capitaux, des caisses de retraite fondées par l’État, l’impôt progressif, etc. Les riches se sont mis à crier : « O scandale ! Tout est perdu ! De nouveaux barbares font irruption dans la société ! » Ils ont opposé aux prétentions des pauvres une résistance désespérée. On s’est battu d’abord à coups de fusil ; on se bat à présent à coups de scrutin. Mais les riches ont-ils renoncé pour cela à la spoliation ? Ils n’y ont pas seulement songé. L’argument des ricochets continue à leur servir de prétexte.

On pourrait cependant leur faire observer que si, au lieu d’exercer la spoliation par l’intermédiaire de la loi, ils l’exerçaient directement, leur sophisme s’évanouirait : Si, de votre autorité privée, vous preniez dans la poche d’un ouvrier un franc qui facilitât votre entrée au théâtre, seriez-