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sur les aliments eux-mêmes. — Il n’en est pas ainsi en Chine et en Irlande : quand les hommes n’ont rien au monde qu’un peu de riz ou de pommes de terre, avec quoi achèteront-ils d’autres aliments, si ce riz et ces pommes de terre viennent à manquer ?

Enfin il est une troisième conséquence de la perfectibilité humaine, que nous devons signaler ici, parce qu’elle contredit, en ce qu’elle a de désolant, la doctrine de Malthus. — Nous avons attribué à cet économiste cette formule : — « La population tend à se mettre au niveau des moyens de subsistance. » — Nous aurions dû dire qu’il était allé fort au delà, et que sa véritable formule, celle dont il a tiré des conclusions si affligeantes, est celle-ci : — La population tend à dépasser les moyens de subsistance. — Si Malthus avait simplement voulu exprimer par là que, dans la race humaine, la puissance de propager la vie est supérieure à la puissance de l’entretenir, il n’y aurait pas de contestation possible. Mais ce n’est pas là, sa pensée : il affirme que, prenant en considération la fécondité absolue, d’une part, de l’autre, la limitation manifestée par ses deux modes, répressif et préventif, le résultat n’en est pas moins la tendance de la population à dépasser les moyens de vivre[1]. — Cela est vrai de toutes les espèces animées, excepté de l’espèce humaine. L’homme est intelligent, et peut faire de la limitation préventive un usage illimité. Il est perfectible, il aspire au perfectionnement, il répugne à la détérioration ; le progrès est son état normal ; le progrès implique un usage de plus en plus éclairé de la limitation

  1. Il existe peu de pays dont les populations n’aient une tendance à se multiplier au delà des moyens de subsistance. Une tendance aussi constante que celle-là doit nécessairement engendrer la misère des classes inférieures, et empêcher toute amélioration durable dans leur condition… Le principe de la population… accroîtra le nombre des individus avant qu’un accroissement dans les moyens de subsistance ait eu lieu, etc. (Malthus, cité par Rossi.)