Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/529

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bes qui sont la sagesse des nations et qui nous avertissent que l’aisance est la plus sûre garantie de l’union et de la paix. Pourquoi vous presseriez-vous ? Voulez-vous qu’à vingt-cinq ans, votre fille soit chargée de famille, qu’elle ne puisse l’élever et l’instruire selon votre rang et votre condition ? Voulez-vous que le mari, incapable de surmonter l’insuffisance de son salaire, tombe d’abord dans l’affliction, puis dans le désespoir, et peut-être enfin dans le désordre ? Le projet qui vous occupe est le plus grave de tous ceux auxquels vous puissiez donner votre attention. Pesez-le, mûrissez-le ; gardez-vous de toute précipitation, etc. »

Supposez que le père, empruntant le langage de M. de Lamennais, répondît : « Dieu adressa dans l’origine ce commandement à tous les hommes : Croissez et multipliez, et remplissez la terre et subjuguez-la. Et vous, vous dites à une fille : Renonce à la famille, aux chastes douceurs du mariage ; aux saintes joies de la maternité ; abstiens-toi, vis seule ; que pourrais-tu multiplier que tes misères ? » — Croit-on que le vieux prêtre n’aurait rien à opposer à ce raisonnement ?

Dieu, dirait-il, n’a pas ordonné aux hommes de croître sans discernement et sans mesure, de s’unir comme les bêtes, sans nulle prévoyance de l’avenir ; il n’a pas donné la raison à sa créature de prédilection pour lui en interdire l’usage dans les circonstances les plus solennelles : il a bien ordonné à l’homme de croître, mais pour croître il faut vivre, et pour vivre il faut en avoir les moyens ; donc dans l’ordre de croître est impliqué celui de préparer aux jeunes générations des moyens d’existence. — La religion n’a pas mis la virginité au rang des crimes ; bien loin de là, elle en a fait une vertu, elle l’a honorée, sanctifiée et glorifiée ; il ne faut donc point croire qu’on viole le commandement de Dieu parce qu’on se prépare à le remplir avec prudence, en vue du bien, du bonheur et de la dignité de la famille. —