Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/525

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cieuses, servant de prémisses à de dangereuses conclusions, et de regretter qu’une éloquence si admirable soit consacrée à populariser la plus funeste des erreurs.

Certes, il n’est pas vrai qu’aucune plante ne dérobe la séve d’une autre, et que toutes étendent leurs racines sans se nuire dans le sol. Des milliards de germes végétaux tombent chaque année sur la terre, y puisent un commencement de vie, et succombent étouffés par des plantes plus fortes et plus vivaces. — Il n’est pas vrai que tous les animaux qui naissent soient conviés au banquet de la nature et qu’aucun d’eux n’en soit exclu. Parmi les espèces sauvages, ils se détruisent les uns les autres, et, dans les espèces domestiques, l’homme en retranche un nombre incalculable. — Rien même n’est plus propre à montrer l’existence et les relations de ces deux principes : celui de la multiplication et celui de la limitation. Pourquoi y a-t-il en France tant de bœufs et de moutons malgré le carnage qu’il s’en fait ? Pourquoi y a-t-il si peu d’ours et de loups, quoiqu’on en tue bien moins et qu’ils soient organisés pour multiplier bien davantage ? C’est que l’homme prépare aux uns et soustrait aux autres la subsistance ; il dispose à leur égard de la loi de limitation de manière à laisser plus ou moins de latitude à la loi de fécondité.

Ainsi, pour les végétaux comme pour les animaux, la force limitative ne paraît se montrer que sous une forme, la destruction. — Mais l’homme est doué de raison, de prévoyance ; et ce nouvel élément modifie, change même à son égard le mode d’action de cette force.

Sans doute, en tant qu’être pourvu d’organes matériels, et, pour trancher le mot, en tant qu’animal, la loi de limitation par voie de destruction lui est applicable. Il n’est pas possible que le nombre des hommes dépasse les moyens d’existence : cela voudrait dire qu’il existe plus d’hommes qu’il n’en peut exister, ce qui implique contradiction. Si