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Rousseau était convaincu que l’isolement était l’état de nature de l’homme, et que, par conséquent, la société était d’invention humaine. « L’ordre social, dit-il en débutant, ne vient pas de la nature ; il est donc fondé sur des conventions. »

En outre, ce philosophe, quoique aimant avec passion la liberté, avait une triste opinion des hommes. Il les croyait tout à fait incapables de se donner une bonne institution. L’intervention d’un fondateur, d’un législateur, d’un père des nations, était donc indispensable.

« Le peuple soumis aux lois, dit-il, en doit être l’auteur. Il n’appartient qu’à ceux qui s’associent de régler les conditions de la société ; mais comment les régleront-ils ? Sera-ce d’un commun accord, par une inspiration subite ? Comment une multitude aveugle, qui souvent ne sait ce qu’elle veut, parce que rarement elle sait ce qui lui est bon, exécuterait-elle d’elle-même une entreprise aussi grande, aussi difficile qu’un système de législation ?… Les particuliers voient le bien qu’ils rejettent, le public veut le bien qu’il ne voit pas ; tous ont également besoin de guides… Voilà d’où naît la nécessité d’un législateur. »

Ce législateur, on l’a déjà vu, « ne pouvant employer ni la force ni le raisonnement, c’est une nécessité qu’il recoure à une autorité d’un autre ordre, » c’est-à-dire, en bon français, à la fourberie.

Rien ne peut donner une idée de l’immense hauteur au-dessus des autres hommes où Rousseau place son législateur :

« Il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes… Celui qui ose entreprendre d’instituer un peuple doit se sentir en état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine…, d’altérer la constitution de l’homme pour le renforcer… Il faut qu’il ôte à l’homme ses propres forces pour lui en donner qui lui soient étrangères… Le législateur est,