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Les hommes tendent donc à sortir du salariat pour devenir capitalistes. C’est la marche conforme à la nature du cœur humain. Quel travailleur ne désire avoir un outil à lui, des avances à lui, une boutique, un atelier, un champ, une maison à lui  ? Quel ouvrier n’aspire à devenir patron  ? Qui n’est heureux de commander après avoir longtemps obéi  ? Reste à savoir si les grandes lois du monde économique, si le jeu naturel des organes sociaux favorisent ou contrarient cette tendance. C’est la dernière question que nous examinerons à propos des salaires.

Et peut-il à cet égard exister quelque doute  ?

Qu’on se rappelle l’évolution nécessaire de la production : l’utilité gratuite se substituant incessamment à l’utilité onéreuse ; les efforts humains diminuant sans cesse pour chaque résultat, et, mis en disponibilité, s’attaquant à de nouvelles entreprises ; chaque heure de travail correspondant à une satisfaction toujours croissante. Comment de ces prémisses ne pas déduire l’accroissement progressif des effets utiles à répartir, par conséquent l’amélioration soutenue des travailleurs, et par conséquent encore une progression sans fin dans cette amélioration  ?

Car, ici, l’effet devenant cause, nous voyons le progrès non-seulement marcher, mais s’accélérer par la marche : vires acquirere eundo. En effet, de siècle en siècle, l’épargne devient plus facile, puisque la rémunération du travail devient plus féconde. Or l’épargne accroît les capitaux, provoque la demande des bras et détermine l’élévation des salaires. L’élévation des salaires, à son tour, facilite l’épargne et la transformation du salarié en capitaliste. Il y a donc entre la rémunération du travail et l’épargne une action et une réaction constantes, toujours favorables à la classe laborieuse, toujours appliquées à alléger pour elle le joug des nécessités urgentes.

On dira peut-être que je rassemble ici tout ce qui peut