Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gination épouvantée d’un nombre immense de nos frères. — Et quand un problème se pose dans de telles conditions devant l’humanité, soyons-en bien assurés, c’est qu’il n’est pas insoluble.

Si, dans leurs efforts pour donner plus de stabilité à leur avenir, les ouvriers ont semé l’alarme parmi les autres classes de la société, c’est qu’ils ont donné à ces efforts une direction fausse, injuste, dangereuse. Leur première pensée, — c’est l’usage en France, — a été de faire irruption sur la fortune publique ; de fonder la caisse des retraites sur le produit des contributions ; de faire intervenir l’État ou la Loi, c’est-à-dire d’avoir tous les profits de la spoliation sans en avoir ni les dangers ni la honte.

Ce n’est pas de ce côté de l’horizon social que peut venir l’institution tant désirée par les ouvriers. La caisse de retraite, pour être utile, solide, louable, pour que son origine soit en harmonie avec sa fin, doit être le fruit de leurs efforts, de leur énergie, de leur sagacité, de leur expérience, de leur prévoyance. Elle doit être alimentée par leurs sacrifices ; elle doit croître arrosée de leurs sueurs. Ils n’ont rien à demander au gouvernement, si ce n’est liberté d’action et répression de toute fraude.

Mais le temps est-il arrivé où la fondation d’une caisse de retraite pour les travailleurs est possible  ? Je n’oserais l’affirmer ; j’avoue même que je ne le crois pas. Pour qu’une institution qui réalise un nouveau degré de stabilité en faveur d’une classe puisse s’établir, il faut qu’un certain progrès, qu’un certain degré de civilisation se soit réalisé dans le milieu social où cette institution aspire à la vie. Il faut qu’une atmosphère vitale lui soit préparée. Si je ne me trompe, c’est aux sociétés de secours mutuels, par les ressources matérielles qu’elles créeront, par l’esprit d’association, l’expérience, la prévoyance, le sentiment de la dignité qu’elles feront pénétrer dans les classes laborieuses, c’est,