Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentimentalistes sont et seront toujours impuissantes. Que si, par malheur, elles séduisaient un petit nombre de travailleurs, elles en feraient autant de dupes. Qu’un marchand se mette à vendre sur le principe de la fraternité, je ne lui donne pas un mois pour voir ses enfants réduits à la mendicité.

La Providence a donc bien fait de donner à la Sociabilité d’autres garanties. L’homme étant donné, la sensibilité étant inséparable de l’individualité, il est impossible d’espérer, de désirer et de comprendre que l’intérêt personnel puisse être universellement aboli. C’est ce qu’il faudrait cependant, pour le juste équilibre des relations humaines ; car si vous ne brisez ce ressort que dans quelques âmes d’élite, vous faites deux classes, — les méchants induits à faire des victimes, les bons à qui le rôle de victimes est réservé.

Puisque, en matière de travail et d’échanges, le principe chacun pour soi devait inévitablement prévaloir comme mobile, ce qui est admirable, ce qui est merveilleux, c’est que l’auteur des choses s’en soit servi pour réaliser au sein de l’ordre social l’axiome fraternitaire chacun pour tous ; c’est que son habile main ait fait de l’obstacle l’instrument ; que l’intérêt général ait été confié à l’intérêt personnel, et que le premier soit devenu infaillible, par cela même que le second est indestructible. Il me semble que, devant ces résultats, les communistes et autres inventeurs de sociétés artificielles peuvent reconnaître, — sans en être trop humiliés, à la rigueur, — qu’en fait d’organisation, leur rival de là-haut est décidément plus fort qu’eux.

Et remarquez bien que, dans l’ordre naturel des sociétés, le chacun pour tous naissant du chacun pour soi est beaucoup plus complet, beaucoup plus absolu, beaucoup plus intime qu’il ne le serait au point de vue communiste ou socialiste. Non-seulement nous travaillons pour tous, mais