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cun, en travaillant pour soi, travaille en effet pour tous. En fait, cela ne peut pas être contesté. Si celui qui lit ces lignes exerce une profession ou un métier, je le supplie de tourner un moment ses regards sur lui-même. Je lui demande si tous ses travaux n’ont pas pour objet la satisfaction d’autrui, et si d’un autre côté, ce n’est pas au travail d’autrui qu’il doit toutes ses satisfactions.

Évidemment, ceux qui disent que chacun pour soi et chacun pour tous s’excluent, croient qu’une incompatibilité existe entre l’individualisme et l’association. Ils pensent que chacun pour soi implique isolement ou tendance à l’isolement ; que l’intérêt personnel désunit au lieu d’unir, et qu’il aboutit au chacun chez soi, c’est-à-dire à l’absence de toutes relations sociales.

En cela, je le répète, ils se font de la Société une vue tout à fait fausse, à force d’être incomplète. Alors même qu’ils ne sont mus que par leur intérêt personnel, les hommes cherchent à se rapprocher, à combiner leurs efforts, à unir leurs forces, à travailler les uns pour les autres, à se rendre des services réciproques, à socier ou s’associer. Il ne serait pas exact de dire qu’ils agissent ainsi malgré l’intérêt personnel ; non, ils agissent ainsi par intérêt personnel. Ils socient, parce qu’ils s’en trouvent bien. S’il devaient s’en mal trouver, ils ne socieraient pas. L’individualisme accomplit donc ici l’œuvre que les sentimentalistes de notre temps voudraient confier à la Fraternité, à l’abnégation, ou je ne sais à quel autre mobile opposé à l’amour de soi. — Et ceci prouve, c’est une conclusion à laquelle nous arrivons toujours, que la Providence a su pourvoir à la sociabilité beaucoup mieux que ceux qui se disent ses prophètes. — Car, de deux choses l’une : ou l’union nuit à l’individualité, ou elle lui est avantageuse. — Si elle nuit, comment s’y pendront messieurs les Socialistes, et quels motifs raisonnables peuvent-ils avoir pour réaliser ce qui blesse tout le monde ?