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siasme et peut-être exagéré la perfectibilité humaine, tombent dans l’étrange contradiction de dire que la société se détériore de plus en plus. À les entendre, les hommes sont mille fois plus malheureux qu’ils ne l’étaient dans les temps anciens, sous le régime féodal et sous le joug de l’esclavage ; le monde est devenu un enfer. S’il était possible d’évoquer le Paris du dixième siècle, j’ose croire qu’une telle thèse serait insoutenable.

Ensuite ils sont conduits à condamner le principe même d’action des hommes, je veux dire l’intérêt personnel, puisqu’il a amené un tel état de choses. Remarquons que l’homme est organisé de telle façon, qu’il recherche la satisfaction et évite la peine ; c’est de là, j’en conviens, que naissent tous les maux sociaux, la guerre, l’esclavage, le monopole, le privilége ; mais c’est de là aussi que viennent tous les biens, puisque la satisfaction des besoins et la répugnance pour la douleur sont les mobiles de l’homme. La question est donc de savoir si ce mobile qui, par son universalité, d’individuel devient social, n’est pas en lui-même un principe de progrès.

En tout cas, les inventeurs d’organisations nouvelles ne s’aperçoivent-ils pas que ce principe, inhérent à la nature même de l’homme, les suivra dans leurs organisations, et que là il fera bien d’autres ravages que dans notre organisation naturelle, où les prétentions injustes et l’intérêt de l’un sont au moins contenus par la résistance de tous ? Ces publicistes supposent toujours deux choses inadmissibles : la première, que la société telle qu’ils la conçoivent sera dirigée par des hommes infaillibles et dénués de ce mobile, — l’intérêt ; la seconde, que la masse se laissera diriger par ces hommes.

Enfin les Organisateurs ne paraissent pas se préoccuper le moins du monde des moyens d’exécution. Comment feront-ils prévaloir leurs systèmes ? Comment décideront-ils tous les hommes à la fois à renoncer à ce mobile qui les fait