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monde, c’est qu’après avoir, si je puis m’exprimer ainsi, attaché à chaque service, à chaque valeur une plus grande proportion d’utilité, la Concurrence travaille incessamment à niveler les services eux-mêmes, à les rendre proportionnels aux efforts. N’est-elle pas, en effet, l’aiguillon qui pousse vers les carrières fécondes, hors des carrières stériles ? Son action propre est donc de réaliser de plus en plus l’égalité, tout en élevant le niveau social.

Entendons-nous cependant sur ce mot égalité. Il n’implique pas pour tous les hommes des rémunérations identiques, mais proportionnelles à la quantité et même à la qualité de leurs efforts.

Une foule de circonstances contribue à rendre inégale la rémunération du travail (je ne parle ici que du travail libre, soumis à la Concurrence) ; si l’on y regarde de près, on s’aperçoit que, presque toujours juste et nécessaire, cette inégalité prétendue n’est que de l’égalité réelle.

Toutes choses égales d’ailleurs, il y a plus de profits aux travaux dangereux qu’à ceux qui ne le sont pas ; aux états qui exigent un long apprentissage et des déboursés longtemps improductifs, ce qui suppose, dans la famille, le long exercice de certaines vertus, qu’à ceux où suffit la force musculaire ; aux professions qui réclament la culture de l’esprit et font naître des goûts délicats, qu’aux métiers où il ne faut que des bras. Tout cela n’est-il pas juste ? Or, la Concurrence établit nécessairement ces distinctions ; la société n’a pas besoin que Fourier ou M. L. Blanc en décident.

Parmi ces circonstances, celle qui agit de la manière la plus générale, c’est l’inégalité de l’instruction ; or, ici comme partout, nous voyons la Concurrence exercer sa double action, niveler les classes et élever la société.

Si l’on se représente la société comme composée de deux couches superposées, dans l’une desquelles domine le principe intelligent, et dans l’autre le principe de la force brute,