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faut qu’une certaine sécurité ait régné au milieu d’une innombrable multitude ; il faut que le froment ait été récolté, broyé, pétri et préparé ; il faut que le fer, l’acier, le bois, la pierre aient été convertis par le travail en instruments de travail ; que certains hommes se soient emparés de la force des animaux, d’autres du poids d’une chute d’eau, etc. ; toutes choses dont chacune, prise isolément, suppose une masse incalculable de travail mise en jeu, non-seulement dans l’espace, mais dans le temps.

Cet homme ne passera pas sa journée sans employer un peu de sucre, un peu d’huile, sans se servir de quelques ustensiles.

Il enverra son fils à l’école, pour y recevoir une instruction qui, quoique bornée, n’en suppose pas moins des recherches, des études antérieures, des connaissances dont l’imagination est effrayée.

Il sort : il trouve une rue pavée et éclairée.

On lui conteste une propriété : il trouvera des avocats pour défendre ses droits, des juges pour l’y maintenir, des officiers de justice pour faire exécuter la sentence ; toutes choses qui supposent encore des connaissances acquises, par conséquent des lumières et des moyens d’existence.

Il va à l’église : elle est un monument prodigieux, et le livre qu’il y porte est un monument peut-être plus prodigieux encore de l’intelligence humaine. On lui enseigne la morale, on éclaire son esprit, on élève son âme ; et, pour que tout cela se fasse, il faut qu’un autre homme ait pu fréquenter les bibliothèques, les séminaires, puiser à toutes les sources de la tradition humaine, qu’il ait pu vivre sans s’occuper directement des besoins de son corps.

Si notre artisan entreprend un voyage, il trouve que, pour lui épargner du temps et diminuer sa peine, d’autres hommes ont aplani, nivelé le sol, comblé des vallées, abaissé des montagnes, joint les rives des fleuves, amoindri