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Car, certes, si l’humanité est fatalement poussée par les lois de la Valeur vers l’Injustice, — par les lois de la Rente vers l’Inégalité, — par les lois de la Population vers la Misère, — et par les lois de l’Hérédité vers la Stérilisation, — il ne faut pas dire que Dieu a fait du monde social, comme du monde matériel, une œuvre harmonique ; il faut avouer, en courbant la tête, qu’il s’est plu à le fonder sur une dissonance révoltante et irrémédiable.

Il ne faut pas croire, jeunes gens, que les socialistes aient réfuté et rejeté ce que j’appellerai, pour ne blesser personne, la théorie des dissonances. Non, quoi qu’ils en disent, ils l’ont tenue pour vraie ; et c’est justement parce qu’ils la tiennent pour vraie qu’ils proposent de substituer la Contrainte à la Liberté, l’organisation artificielle à l’organisation naturelle, l’œuvre de leur invention à l’œuvre de Dieu. Ils disent à leurs adversaires (et en cela je ne sais s’ils ne sont pas plus conséquents qu’eux) : Si, comme vous l’aviez annoncé, les intérêts humains laissés à eux-mêmes tendaient à se combiner harmonieusement, nous n’aurions rien de mieux à faire qu’à accueillir et glorifier, comme vous, la Liberté. Mais vous avez démontré d’une manière invincible que les intérêts, si on les laisse se développer librement, poussent l’humanité vers l’injustice, l’inégalité, le paupérisme et la stérilité. Eh bien ! nous réagissons contre votre théorie précisément parce qu’elle est vraie ; nous voulons briser la société actuelle précisément parce qu’elle obéit aux lois fatales que vous avez décrites ; nous voulons essayer de notre puissance, puisque la puissance de Dieu a échoué.

Ainsi, on s’accorde sur le point de départ, on ne se sépare que sur la conclusion.