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ler. Il s’assura qu’il vendrait ses meubles perfectionnés à un prix qui le récompenserait amplement des dix jours consacrés à faire le Rabot. Et quand il eut toute certitude à cet égard, il se mit à l’ouvrage.

Je prie le lecteur de remarquer que cette puissance, qui est dans l’outil, d’augmenter la productivité du travail, est la base de la solution qui va suivre.

Au bout de dix jours, Jacques eut en sa possession un admirable Rabot, d’autant plus précieux qu’il l’avait fait lui-même. Il en sauta de joie, car, comme la bonne Perrette, il supputait tout le profit qu’il allait tirer de l’ingénieux instrument ; mais plus heureux qu’elle, il ne se vit pas réduit à dire : « Adieu veau, vache, cochon, couvée ! »

Il en était à édifier ses beaux châteaux en Espagne, quand il fut interrompu par son confrère Guillaume, menuisier au village voisin. Guillaume, ayant admiré le Rabot, fut frappé des avantages qu’on en pouvait retirer. Il dit à Jacques :

— Il faut que tu me rendes un service.

— Lequel ?

— Prête-moi ce rabot pour un an.

Comme on pense bien, à cette proposition, Jacques ne manqua pas de se récrier :

— Y penses-tu, Guillaume ? Et si je te rends ce service, quel service me rendras-tu de ton côté ?

— Aucun. Ne sais-tu pas que le prêt doit être gratuit ? ne sais-tu pas que le capital est naturellement improductif ? ne sais-tu pas que l’on a proclamé la Fraternité ? Si tu ne me rendais un service que pour en recevoir un de moi, quel serait ton mérite ?

— Guillaume, mon ami, la Fraternité ne veut pas dire que tous les sacrifices seront d’un côté, sans cela, je ne vois pas pourquoi ils ne seraient pas du tien. Je ne sais si le prêt doit être gratuit ; mais je sais que si je te prêtais gra-