Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 5.djvu/419

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’aime beaucoup plus qu’au 24 février. Voici mes raisons.

Comme tous les publicistes, même ceux de l’école monarchique, entre autres Chateaubriand, je crois que la République est la forme naturelle d’un gouvernement normal. Peuple, Roi, Aristocratie, ce sont trois puissances qui ne peuvent coexister que pendant leur lutte. Cette lutte a des armistices qu’on appelle des chartes. Chaque pouvoir stipule dans ces chartes une part relative à ses victoires. C’est en vain que les théoriciens sont intervenus et ont dit : « Le comble de l’art, c’est de régler les attributions des trois jouteurs, de telle sorte qu’ils s’empêchent réciproquement. » La nature des choses veut que, pendant et par la trêve, l’une des trois puissances se fortifie et grandisse. La lutte recommence, et aboutit, de lassitude, à une charte nouvelle un peu plus démocratique, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le régime républicain ait triomphé.

Mais il peut arriver que le peuple, parvenu à se gouverner lui-même, se gouverne mal. Il souffre et soupire après un changement. Le prétendant exilé met à profit l’occasion, il remonte sur le trône. Alors la lutte, les trêves et le règne des chartes recommencent, pour aboutir de nouveau à la République. Combien de fois peut se renouveler l’expérience ? C’est ce que j’ignore. Mais ce qui est certain, c’est qu’elle ne sera définitive que lorsque le peuple aura appris à se gouverner.

Or, au 24 février, j’ai pu craindre, comme bien d’autres, que la nation ne fût pas préparée à se gouverner elle-même. Je redoutais, je l’avoue, l’influence des idées grecques et romaines qui nous sont imposées à tous par le monopole universitaire, idées radicalement exclusives de toute justice, de tout ordre, de toute liberté, idées devenues plus fausses encore dans les théories prépondérantes de Montesquieu et de Rousseau. Je redoutais aussi la terreur maladive des uns et l’admiration aveugle des autres, inspirées par le