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s’être virtuellement prononcés pour l’abondance, par leur manière d’agir, de travailler et d’échanger, se constituent théoriquement les défenseurs de la disette, jusque-là qu’ils forment dans ce sens l’opinion publique et en font jaillir toutes sortes de lois restrictives et compressives ?

C’est ce qu’il nous reste à expliquer.

Au fond, ce à quoi nous aspirons tous, c’est que chacun de nos efforts réalise pour nous la plus grande somme possible de bien-être. Si nous n’étions pas sociables, si nous vivions dans l’isolement, nous ne connaîtrions, pour atteindre ce but, qu’une règle : travailler plus et mieux, règle qui implique l’abondance progressive.

Mais, à cause de l’Échange et de la séparation des occupations, qui en est la suite, ce n’est pas immédiatement à nous-mêmes, c’est à autrui que nous consacrons notre travail, nos efforts, nos produits, nos services. Dès lors, sans perdre de vue la règle : produire plus, nous en avons une autre toujours plus actuellement présente à notre esprit : produire plus de valeur. Car c’est de là que dépend la quantité de services que nous avons à recevoir en retour des nôtres.

Or, créer plus de produits, ou créer plus de valeur, ce n’est pas la même chose. Il est bien clair que si, par force ou par ruse, nous parvenions à raréfier beaucoup le service spécial ou le produit qui font l’objet de notre profession, nous nous enrichirions sans augmenter ni perfectionner notre travail. Si un cordonnier, par exemple, pouvait, par un acte de sa volonté, faire évaporer tous les souliers du monde, excepté ceux de sa boutique, ou frapper de paralysie quiconque sait manœuvrer le tranchet et le tire-pied, il deviendrait un Crésus ; son sort s’améliorerait, non point avec le sort général de l’humanité, mais en raison inverse de la destinée universelle.

Voilà tout le secret — et tout l’odieux — de la théorie