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c’est ici qu’au point de vue de l’encouragement aux arts, à l’industrie, au travail, aux ouvriers, Mondor paraît très supérieur à Ariste, encore que, sous le rapport moral, Ariste se montre quelque peu supérieur à Mondor.

Ce n’est jamais sans un malaise physique, qui va jusqu’à la souffrance, que je vois l’apparence de telles contradictions entre les grandes lois de la nature. Si l’humanité était réduite à opter entre deux partis, dont l’un blesse ses intérêts et l’autre sa conscience, il ne nous resterait qu’à désespérer de son avenir. Heureusement il n’en est pas ainsi[1]. — Et, pour voir Ariste reprendre sa supériorité économique, aussi bien que sa supériorité morale, il suffit de comprendre ce consolant axiome, qui n’en est pas moins vrai, pour avoir une physionomie paradoxale : Épargner, c’est dépenser.

Quel est le but d’Ariste, en économisant dix mille francs ? Est-ce d’enfouir deux mille pièces de cent sous dans une cachette de son jardin ? Non certes, il entend grossir son capital et son revenu. En conséquence, cet argent qu’il n’emploie pas à acheter des satisfactions personnelles, il s’en sert pour acheter des terres, une maison, des rentes sur l’État, des actions industrielles, ou bien il le place chez un négociant ou un banquier. Suivez les écus dans toutes ces hypothèses, et vous vous convaincrez que, par l’intermédiaire des vendeurs ou emprunteurs, ils vont alimenter du travail tout aussi sûrement que si Ariste, à l’exemple de son frère, les eût échangés contre des meubles, des bijoux et des chevaux.

Car, lorsque Ariste achète pour 10 000 fr. de terres ou de rente, il est déterminé par la considération qu’il n’a pas besoin de dépenser cette somme, puisque c’est ce dont vous lui faites un grief.

Mais, de même, celui qui lui vend la terre ou la rente

  1. V. la note de la page 369.(Note de l’éditeur.)