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On a dit : La machine réduit les frais de production, et fait baisser le prix du produit. La baisse du produit provoque un accroissement de consommation, laquelle nécessite un accroissement de production, et, en définitive, l’intervention d’autant d’ouvriers ou plus, après l’invention, qu’il en fallait avant. On cite, à l’appui, l’imprimerie, la filature, la presse, etc.

Cette démonstration n’est pas scientifique.

Il faudrait en conclure que, si la consommation du produit spécial dont il s’agit reste stationnaire ou à peu près, la machine nuirait au travail. — Ce qui n’est pas.

Supposons que dans un pays tous les hommes portent des chapeaux. Si, par une machine, on parvient à en réduire le prix de moitié, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’on en consommera le double.

Dira-t-on, dans ce cas, qu’une portion du travail national a été frappée d’inertie ? Oui, d’après la démonstration vulgaire. Non, selon la mienne ; car, alors que dans ce pays on n’achèterait pas un seul chapeau de plus, le fonds entier des salaires n’en demeurerait pas moins sauf ; ce qui irait de moins à l’industrie chapelière se retrouverait dans l’Économie réalisée par tous les consommateurs, et irait de là salarier tout le travail que la machine a rendu inutile, et provoquer un développement nouveau de toutes les industries.

Et c’est ainsi que les choses se passent. J’ai vu les journaux à 80 fr., ils sont maintenant à 48. C’est une économie de 32 fr. pour les abonnés. Il n’est pas certain ; il n’est pas, du moins, nécessaire que les 32 fr. continuent à prendre la direction de l’industrie du journaliste ; mais ce qui est certain, ce qui est nécessaire, c’est que, s’ils ne prennent cette direction, ils en prennent une autre. L’un s’en sert pour recevoir plus de journaux, l’autre pour se mieux nourrir, un troisième pour se mieux vêtir, un quatrième pour se mieux meubler.