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grand peuple honteusement mystifié. Cela lui apprendrait à se proclamer sans cesse le précurseur et le promoteur de tout progrès en Europe. Oh ! le trait serait piquant et vaut la peine d’être tenté.

Donc, M. Prohibant se rendit à la fabrique de lois. — Une autre fois peut-être je raconterai l’histoire de ses sourdes menées ; aujourd’hui je ne veux parler que de ses démarches ostensibles. — Il fit valoir auprès de MM. les législateurs cette considération :

« Le fer belge se vend en France à dix francs, ce qui me force de vendre le mien au même prix. J’aimerais mieux le vendre à quinze et ne le puis, à cause de ce fer belge, que Dieu maudisse. Fabriquez une loi qui dise : — Le fer belge n’entrera plus en France. — Aussitôt j’élève mon prix de cinq francs, et voici les conséquences :

« Pour chaque quintal de fer que je livrerai au public, au lieu de recevoir dix francs, j’en toucherai quinze, je m’enrichirai plus vite, je donnerai plus d’étendue à mon exploitation, j’occuperai plus d’ouvriers. Mes ouvriers et moi ferons plus de dépense, au grand avantage de nos fournisseurs à plusieurs lieues à la ronde. Ceux-ci, ayant plus de débouchés, feront plus de commandes à l’industrie et, de proche en proche, l’activité gagnera tout le pays. Cette bienheureuse pièce de cent sous, que vous ferez tomber dans mon coffre-fort, comme une pierre qu’on jette dans un lac, fera rayonner au loin un nombre infini de cercles concentriques. »

Charmés de ce discours, enchantés d’apprendre qu’il est si aisé d’augmenter législativement la fortune d’un peuple, les fabricants de lois votèrent la Restriction. Que parle-t-on de travail et d’économie ? disaient-ils. À quoi bon ces pénibles moyens d’augmenter la richesse nationale, puisqu’un Décret y suffit ?

Et en effet, la loi eut toutes les conséquences annoncées par M. Prohibant ; seulement elle en eut d’autres aussi, car,