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Mais ce que je veux faire remarquer, car c’est ici que s’opère le rapprochement que j’ai annoncé entre votre opinion et la mienne, c’est un singulier déplacement du droit à l’intérêt, qui s’opère par l’intervention des Banques.

Dans le cas d’un billet à ordre ou d’une lettre de change, qui paie l’intérêt ? Évidemment l’emprunteur, celui à qui d’autres ont sacrifié du temps. Et qui profite de cet intérêt ? Ceux qui ont fait ce sacrifice. Ainsi, si B a emprunté, pour un an, 1,000 fr. à A, et lui a souscrit un billet de 1,040 fr., c’est A qui profite des 40 fr. S’il négocie immédiatement ce billet, à 4 pour 100 d’escompte, c’est le preneur qui gagne l’intérêt, comme il est juste, puisque c’est lui qui fait l’avance ou le sacrifice du temps. Si A négocie son billet au bout de six mois à C, celui-ci ne lui en donne que 1,020 fr., et l’intérêt se partage entre A et C, parce que chacun a sacrifié six mois.

Mais quand la Banque intervient, les choses se passent différemment.

C’est toujours B, l’emprunteur, qui paie l’intérêt. Mais ce n’est plus A et C qui en profitent, c’est la Banque.

En effet, A vient de recevoir son titre. S’il le gardait, à quelque époque qu’il le négociât, il toucherait toujours l’intérêt pour tout le temps où il aurait été privé de son capital. Mais il le porte à la Banque. Il remet à celle-ci un titre de 1,040 fr., et elle lui donne en échange un billet de 1,000 fr. C’est donc elle qui gagne les 40 fr.

Quelle est la raison de ce phénomène ? Il s’explique par la disposition où sont les hommes de faire des sacrifices à la commodité. Le billet de banque est un titre très-commode. Quand on le prend, on ne se propose pas de le garder. On se dit : il ne restera pas en mes mains plus de huit à dix jours, et je puis bien sacrifier l’intérêt de 1,000 fr. pendant une semaine en vue des avantages que le billet me procure. Au reste, les billets ont cela de commun avec