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invention n’eût-elle pas tous les dangers que j’ai signalés, n’atteint pas votre but. Elle ne réalise pas la gratuité du crédit.

Vous savez aussi bien que moi, Monsieur, que cette rémunération du capital, qu’on nomme intérêt, ne s’attache pas seulement au prêt. Elle est aussi comprise dans le prix de revient des produits. Et puisque vous invoquez la comptabilité, je l’invoque à mon tour. Ouvrons les livres du premier entrepreneur venu. Nous y verrons qu’il n’opère jamais sans s’être assuré, non-seulement le salaire de son travail, mais encore la rentrée, l’amortissement et l’intérêt de son capital. Cet intérêt se trouve confondu dans le prix de vente. En réduisant toutes les transactions à des achats et des ventes, votre Banque ne résout donc pas, ne touche même pas le problème de la suppression de l’intérêt.

Eh quoi ! Monsieur, vous prétendez arriver à des arrangements tels, que celui qui travaille sur son propre capital ne gagne pas plus que celui qui travaille sur le capital d’autrui emprunté pour rien ! Vous poursuivez une impossibilité et une injustice.

Je vais plus loin, et je dis qu’eussiez-vous raison sur tout le reste, vous auriez encore tort de prendre pour devise ces mots : gratuité du crédit. Prenez-y garde en effet, vous n’aspirez pas à rendre le crédit gratuit, mais à le tuer. Vous voulez tout réduire à des achats et des ventes, à des virements de parties. Vous croyez que, grâce à votre papier-monnaie, il n’y aura plus occasion de prêter ni d’emprunter ; que tout crédit sera inutile, nul, aboli, éteint faute d’occasion. Mais peut-on dire d’une chose qui n’existe pas, ou qui a cessé d’exister, qu’elle est gratuite ?

Et ceci n’est point une querelle de mots. Après tout, d’ailleurs, les mots sont les véhicules des idées. En annonçant la gratuité du crédit, vous donnez certainement à entendre, que ce soit ou non votre intention, que chacun