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le millionnaire. Sauvez-moi, ou je péris.

le prolétaire. Je suis à vous, mais je veux pour ma peine un million.

le millionnaire. Un million pour tendre la main à ton frère qui se noie ! Qu’est-ce que cela te coûte ? Une heure de retard ! Je te rembourserai, je suis généreux, un quart de journée.

le prolétaire. Dites-moi, n’est-il pas vrai que je vous rends un service en vous tirant de là ?

le millionnaire. Oui.

le prolétaire. Tout service a-t-il droit à une récompense ?

le millionnaire. Oui.

le prolétaire. Ne suis-je pas libre ?

le millionnaire. Oui.

le prolétaire. Alors, je veux un million : c’est mon dernier prix. Je ne vous force pas, je ne vous impose rien malgré vous ; je ne vous empêche point de crier : À la barque ! et d’appeler quelqu’un. Si le pêcheur, que j’aperçois là-bas, à une lieue d’ici, veut vous faire cet avantage sans rétribution, adressez-vous à lui : c’est plus commode.

le millionnaire. Malheureux ! tu abuses de ma position. La religion, la morale, l’humanité !…

le prolétaire. Ceci regarde ma conscience. Au reste, l’heure m’appelle, finissons-en. Vivre prolétaire, ou mourir millionnaire : lequel voulez-vous ?

Sans doute, Monsieur, vous me direz que la religion, la morale, l’humanité, qui nous commandent de secourir notre semblable dans la détresse, n’ont rien de commun avec l’intérêt. Je le pense comme vous : mais que trouvez-vous à redire à l’exemple suivant ?

Un missionnaire anglais, allant à la conversion des infidèles, fait naufrage en route, et aborde dans un canot, avec sa femme et quatre enfants, à l’île de … — Robinson, pro-