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te brûle la cervelle. — Mais, seigneur, j’ai besoin de fer. — J’en ai à vendre. — Mais, seigneur, vous le tenez fort cher. — J’ai mes raisons pour cela. — Mais, seigneur, j’ai mes raisons aussi pour préférer le fer à bon marché. — Eh bien ! entre tes raisons et les miennes, voici qui va décider. Valets, en joue !

Bref, vous empêchez le fer belge d’entrer, et, du même coup, vous empêchez mes chapeaux de sortir.

Dans l’hypothèse où nous sommes, c’est-à-dire sous le régime de la liberté, vous ne pouvez contester que ce ne soit là, de votre part, un acte manifeste d’Oppression et de Spoliation.

Aussi, je m’empresse d’invoquer la Loi, le magistrat, la force publique. Ils interviennent ; vous êtes jugé, condamné et justement châtié.

Mais tout ceci vous suggère une idée lumineuse.

Vous vous dites : J’ai été bien simple de me donner tant de peine ; quoi ! m’exposer à tuer ou à être tué ! me déplacer ! mettre en mouvement mes domestiques ! encourir des frais énormes ! me donner le caractère d’un spoliateur ! mériter d’être frappé par la justice du pays ! et tout cela, pour forcer un misérable chapelier à venir à ma boutique acheter du fer à mon prix ! Si je mettais dans mes intérêts la Loi, le magistrat et la force publique ! si je leur faisais faire, sur la frontière, cet acte odieux que j’y allais faire moi-même !

Échauffé par cette séduisante perspective, vous vous faites nommer législateur et votez un décret conçu en ces termes :

Art. 1er. Il sera prélevé une taxe sur tout le monde (et notamment sur mon maudit chapelier).

Art. 2. Avec le produit de cette taxe on paiera des hommes qui feront bonne garde à la frontière, dans l’intérêt des maîtres de forges.