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paie l’intérêt de ce capital, sous forme de rigole, qu’il ne paie pas l’épuisement, beaucoup plus dispendieux, à force de bras. — Et, si vous observez la chose de près, vous verrez que c’est toujours du travail qu’il paie ; seulement, dans le second cas, il intervient une coopération de la nature, très-utile, très-productive, mais qui ne se paie pas.

Votre plus grand grief contre l’intérêt est qu’il permet aux capitalistes de vivre sans travailler. « Or, dites-vous, vivre sans travailler, c’est, en économie politique comme en morale, une proposition contradictoire, une chose impossible. »

Sans doute, vivre sans travailler, pour l’homme tel qu’il a plu à Dieu de le faire, est, d’une manière absolue, chose impossible. Mais ce qui n’est pas impossible à l’homme, c’est de vivre deux jours sur le travail d’un seul. Ce qui n’est pas impossible à l’humanité, ce qui est même une conséquence providentielle de sa nature perfectible, c’est d’accroître incessamment la proportion des résultats obtenus aux efforts employés. Si un artisan a pu améliorer son sort en fabriquant de grossiers outils, pourquoi ne l’améliorerait-il pas davantage encore en créant des machines plus compliquées, en déployant plus d’activité, plus de génie, plus de prévoyance ; en se soumettant à de plus longues privations ? Que si le talent, la persévérance, l’ordre, l’économie, l’exercice de toutes les vertus, se perpétuent dans la famille ; pourquoi ne parviendrait-elle pas, à la longue, au loisir relatif, ou, pour mieux dire, à s’initier à des travaux d’un ordre plus élevé ?

Pour que ce loisir provoquât avec justice, chez ceux qui n’y sont pas encore parvenus, l’irritation et l’envie, il faudrait qu’il fût acquis aux dépens d’autrui, et j’ai prouvé qu’il n’en était pas ainsi. Il faudrait, de plus, qu’il ne fût pas l’éternelle aspiration de tous les hommes.

Je terminerai cette lettre, déjà trop longue, par une considération sur le loisir.