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vous le demande, et je conviens qu’il ne résoudrait pas le problème social.

Vous voudriez être généreux, et vous ne le pouvez avec fruit ; ce que j’ose vous demander, c’est d’être juste. Gardez votre fortune, mais permettez-moi de garder la mienne. Respectez ma propriété comme je respecte la vôtre. Est-ce de ma part une requête trop hardie ?

Supposons que nous soyons dans un pays où règne la liberté d’échanger, où chacun puisse disposer de son travail et de sa propriété. — Vos cheveux se hérissent ? Rassurez-vous, ce n’est qu’une hypothèse.

Nous sommes donc aussi libres l’un que l’autre. Il y a bien une Loi dans le Code, mais cette Loi, toute impartialité et justice, loin de nuire à notre liberté, la garantit. Elle n’entrera en action qu’autant que nous essayerions d’exercer l’oppression, vous sur moi ou moi sur vous. Il y a une force publique, il y a des magistrats, des gendarmes, mais ils ne font qu’exécuter la Loi.

Les choses étant ainsi, vous êtes maître de forges et je suis chapelier. J’ai besoin de fer, pour mon usage ou pour mon industrie. Naturellement, je me pose ce problème : « Quel est pour moi le moyen de me procurer le fer, qui m’est nécessaire, avec la moindre somme possible de travail ? » En tenant compte de ma situation, de mes connaissances, je découvre que le mieux pour moi est de faire des chapeaux et de les livrer à un Belge, qui me donnera du fer en retour.

Mais vous êtes maître de forges, et vous vous dites : Je saurai bien forcer ce coquin-là (c’est de moi qu’il s’agit) de venir à ma boutique.

En conséquence, vous garnissez votre ceinture de sabres et de pistolets, vous armez vos nombreux domestiques, vous vous rendez sur la frontière, et là, au moment où je vais exécuter mon troc, vous me criez : — Arrête ! ou je