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me parles ou si je te parle ; je doute si tu es et si je suis ; je doute si tu affirmes ; je doute si je doute ?

Voyons néanmoins sur quelle base vous faites reposer la seconde moitié de l’antinomie.

Vous invoquez d’abord les Pères de l’Église, le judaïsme et le paganisme. Permettez-moi de les récuser en matière économique. Vous l’avouez vous-même, Juifs et gentils ont parlé dans un sens et agi dans un autre. Quand il s’agit d’étudier les lois générales auxquelles obéit la société, la manière dont les hommes agissent universellement a plus de poids que quelques sentences.

Vous dites : « Celui qui prête ne se prive pas du capital qu’il prête. Il le prête, au contraire, parce que ce prêt ne constitue pas pour lui une privation ; il le prête, parce qu’il n’en a que faire pour lui-même, étant suffisamment pourvu, d’ailleurs, de capitaux. Il le prête, enfin, parce qu’il n’est ni dans son intention ni dans sa puissance de le faire personnellement valoir[1]. »

Et qu’importe, s’il l’a créé par son travail, précisément pour le prêter ? Il n’y a là qu’une équivoque sur l’effet nécessaire de la séparation des occupations. Votre argument attaque la vente aussi bien que le prêt. En voulez vous la preuve ? Je vais reproduire votre phrase, en substituant Vente à Prêt et Chapelier à Capitaliste.

« Celui qui vend, dirai-je, ne se prive pas du chapeau qu’il vend. Il le vend, au contraire, parce que cette vente ne constitue pas pour lui une privation. Il le vend parce qu’il n’en a que faire pour lui-même, étant d’ailleurs suffisam-

  1. L’argument tiré de ce que le capitaliste ne se prive pas, n’est pas exclusivement à l’usage des socialistes. Considérer comme un élément important de la légitimité de l’intérêt la privation éprouvée par le prêteur, est une opinion qui fut soutenue, le 15 juin 1849, dans le Journal des Économistes, à l’occasion du pamphlet Capital et Rente, récemment publié. (Note de l’éditeur.)