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PAMPHLETS.

terres dans l’île », réponse plus décisive que celle du meunier de Sans-Souci : « Il y a des juges à Berlin[1]. »

Ainsi, à l’origine du moins, le propriétaire, soit qu’il vende les produits de sa terre, ou sa terre elle-même, soit qu’il l’afferme, ne fait autre chose que rendre et recevoir des services sur le pied de l’égalité. Ce sont ces services qui se comparent, et par conséquent qui valent, la valeur n’étant attribuée au sol que par abréviation ou métonymie.

Voyons ce qui survient à mesure que l’île se peuple et se cultive.

Il est bien évident que la facilité de se procurer des matières premières, des subsistances et du travail y augmente pour tout le monde, sans privilége pour personne, comme on le voit aux États-Unis. Là, il est absolument impossible aux propriétaires de se placer dans une position plus favorable que les autres travailleurs, puisque, à cause de l’abondance des terres, chacun a le choix de se porter vers l’agriculture si elle devient plus lucrative que les autres car-

  1. Nous avons entendu naguère nier la légitimité du fermage. Sans aller jusque-là, beaucoup de personnes ont de la peine à comprendre la pérennité du loyer des capitaux. Comment, disent-elles, un capital une fois formé peut-il donner un revenu éternel ? Voici, par un exemple, cette légitimité et cette pérennité expliquées.

    J’ai cent sacs de blé, je pourrais m’en servir pour vivre pendant que je me livre à un travail utile. Au lieu de cela, je les prête pour un an. Que me doit l’emprunteur ? la restitution intégrale de mes cent sacs de blé. Ne me doit-il que cela ? En ce cas, j’aurais rendu un service sans en recevoir. Il me doit donc, outre la simple restitution de mon prêt, un service, une rémunération qui sera déterminée par les lois de l’offre et de la demande : c’est l’intérêt. On voit qu’au bout de l’an, j’ai encore cent sacs de blé à prêter ; et ainsi de suite pendant l’éternité. L’intérêt est une petite portion du travail que mon prêt a mis l’emprunteur à même d’exécuter. Si j’ai assez de sacs de blé pour que les intérêts suffisent à mon existence, je puis être un homme de loisir sans faire tort à personne, et il me serait facile de montrer que le loisir, ainsi acheté, est lui-même un des ressorts progressifs de la société.