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vin. C’est un obstacle ; et voici d’autres hommes qui s’occupent de le lever en fabriquant des tonneaux. Il est donc heureux que l’obstacle existe, puisqu’il alimente une portion du travail national et enrichit un certain nombre de nos concitoyens. Mais voici venir une machine ingénieuse qui abat le chêne, l’équarrit, le partage en une multitude de douves, les assemble et les transforme en vaisseaux vinaires. L’obstacle est bien amoindri, et avec lui la fortune des tonneliers. Maintenons l’un et l’autre par une loi. Proscrivons la machine.

Pour pénétrer au fond de ce sophisme, il suffit de se dire que le travail humain n’est pas un but, mais un moyen. Il ne reste jamais sans emploi. Si un obstacle lui manque, il s’attaque à un autre, et l’humanité est délivrée de deux obstacles par la même somme de travail qui n’en détruisait qu’un seul. — Si le travail des tonneliers devenait jamais inutile, il prendrait une autre direction. — Mais avec quoi, demande-t-on, serait-il rémunéré ? précisément avec ce qui le rémunère aujourd’hui ; car, quand une masse de travail devient disponible par la suppression d’un obstacle, une masse correspondante de rémunération devient disponible aussi. — Pour dire que le travail humain finira par manquer d’emploi, il faudrait prouver que l’humanité cessera de rencontrer des obstacles. — Alors le travail ne serait pas seulement impossible, il serait superflu. Nous n’aurions plus rien à faire, parce que nous serions tout-puissants et qu’il nous suffirait de prononcer un fiat pour que tous nos besoins et tous nos désirs fussent satisfaits[1].

  1. Voyez, sur le même sujet, le chapitre xiv de la seconde Série des Sophismes, et les chapitres iii et xi des Harmonies économiques. (Note de l’éditeur.)