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pour des vertus ? Qu’importe que Smith, Say, et, selon M. de Saint-Chamans, les économistes de toutes les écoles aient proclamé, en fait de transactions commerciales, la supériorité de la liberté sur la contrainte, si ceux-là sont convaincus du contraire qui font les lois et pour qui les lois sont faites ?

Ces sciences, que l’on a fort bien nommées sociales, ont encore ceci de particulier que, par cela même qu’elles sont d’une application usuelle, nul ne convient qu’il les ignore. — A-t-on besoin de résoudre une question de chimie ou de géométrie ? On ne prétend pas avoir la science infuse ; on n’a pas honte de consulter M. Thénard ; on ne se fait pas difficulté d’ouvrir Legendre ou Bezout. — Mais, dans les sciences sociales, on ne reconnaît guère d’autorités. Comme chacun fait journellement de la morale bonne ou mauvaise, de l’hygiène, de l’économie, de la politique raisonnable ou absurde, chacun se croit apte à gloser, disserter, décider et trancher en ces matières. — Souffrez-vous ? Il n’est pas de bonne vieille qui ne vous dise du premier coup la cause et le remède de vos maux : « Ce sont les humeurs, affirme-t-elle, il faut vous purger. » — Mais qu’est-ce que les humeurs ? et y a-t-il des humeurs ? C’est ce dont elle ne se met pas en peine. — Je songe involontairement à cette bonne vieille quand j’entends expliquer tous les malaises sociaux par ces phrases banales : C’est la surabondance des produits, c’est la tyrannie du capital, c’est la pléthore industrielle, et autres sornettes dont on ne peut pas même dire : Verba et voces, prætereaque nihil, car ce sont autant de funestes erreurs.


De ce qui précède il résulte deux choses : 1° Que les sciences sociales doivent abonder en sophismes beaucoup plus que les autres, parce que ce sont celles où chacun ne consulte que son jugement ou ses instincts ; 2° que c’est dans ces sciences que le sophisme est spécialement malfai-