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Il me semble que cette puérile prévention ne résisterait pas à la lecture de ce livre. En voyant agir les free-traders, en les entendant parler, en suivant pas à pas les dramatiques péripéties de cette agitation puissante, qui remue tout un peuple, et dont le dénoûment certain est la chute de cette prépondérance oligarchique qui est précisément, selon nous-mêmes, ce qui rend l’Angleterre dangereuse ; il me semble impossible que l’on persiste à s’imaginer que tant d’efforts persévérants, tant de chaleur sincère, tant de vie, tant d’action, n’ont absolument qu’un but : tromper un peuple voisin en le déterminant à fonder lui-même sa législation industrielle sur les bases de la justice et de la liberté.

Car enfin, il faudra bien reconnaître, à cette lecture, qu’il y a en Angleterre deux classes, deux peuples, deux intérêts, deux principes, en un mot : aristocratie et démocratie.

Si l’une veut l’inégalité, l’autre tend à l’égalité ; si l’une défend la restriction, l’autre réclame la liberté ; si l’une aspire à la conquête, au régime colonial, à la suprématie politique, à l’empire exclusif des mers, l’autre travaille à l’universel affranchissement ; c’est-à-dire à répudier la conquête, à briser les liens coloniaux, à substituer, dans les relations internationales, aux artificieuses combinaisons de la diplomatie, les libres et volontaires relations du commerce. Et n’est-il pas absurde d’envelopper dans la même haine ces deux classes, ces deux peuples, ces deux principes, dont l’un est, de toute nécessité, favorable à l’humanité si l’autre lui est contraire ? Sous peine de l’inconséquence la plus aveugle et la plus grossière, nous devons donner la main au peuple anglais ou à l’aristocratie anglaise. Si la liberté, la paix, l’égalité des conditions légales, le droit au salaire naturel du travail sont nos principes, nous devons sympathiser avec la Ligue ; si au contraire, nous pensons que la spoliation, la conquête, le monopole, l’en-