Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gine de toutes les choses dont nous nous servons. Ce livre (montrant le livre de prières) est fait avec du coton produit par le travail esclave. Dieu n’attend pas de nous que nous tremblions à chaque pas, et ne nous imputera pas à péché l’usage de tels objets. C’est pourquoi je pense que le gouvernement a tort de s’emparer de telles idées, momentanément dominantes dans le public, pour s’en faire des arguments de circonstance. Je ne doute pas que chacun des membres qui composent le cabinet a des idées plus justes ; mais ils ne veulent pas froisser les sentiments de ceux qui pensent différemment. Il est à regretter que ce sentiment ait prévalu ; il est à regretter qu’il existe dans l’esprit d’un grand nombre d’hommes honnêtes. Quand la pitié et la charité prennent dans l’esprit la place de la justice, il en résulte toutes sortes de méprises. Tout ce que je puis dire, c’est que la Bible ne sanctionne pas cette substitution de la charité à la justice. Elle dit : « Soyez justes, » et ensuite : « Aimez la pitié, » fondez toutes choses sur la vérité, sur l’honnêteté, sur la loyauté, sur l’équité ; payez ce que vous devez ; faites ce qui est bien, et ensuite, si vous en avez les moyens, montrez-vous généreux[1]. Et même encore la charité de la Bible n’est pas la charité moderne, — cette charité qui s’exerce aux dépens du public, — qui dit aux hommes : « Soyez bien vêtus, bien chauffés, » en ajoutant : « Adressez-vous à la paroisse ; » non, la charité de la Bible est volontaire, et chacun la puise dans son cœur et dans sa bourse. (Applaudissements.) Je vous raconterai un acte de vraie charité dont j’ai eu hier connaissance. Un de mes amis me racontait qu’il voyageait dans une voiture publique, de compagnie avec un lord anglais, par une terrible nuit d’hiver. Il y avait sur la voiture la femme d’un soldat et son enfant exposés à une pluie battante et à un vent glacial. Le noble lord, dès qu’il apprit cette circonstance, et quoique le voyage fût long, établit la femme du soldat et son enfant dans sa bonne place de l’intérieur, et supporta pendant de longues heures les assauts

  1. À l’époque où ce discours fut prononcé, le parti qui soutenait le monopole des céréales et la cherté du pain proposait une foule de plans philanthropiques pour le soulagement du peuple.