Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/265

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duc de Bedfort[1] en serait le musicien et le dramatiste le plus distingué, et que les membres du clergé de l’abbaye de Westminster, dont les propriétés sont affectées à un usage fort équivoque, seraient d’éminents professeurs de prostitution. (Rires et applaudissements.) Entre la Ligue et ses adversaires toute la question, dégagée de ces vains sophismes, se réduit à savoir si les seigneurs terriens, au lieu de n’être dans la nation qu’une classe respectable et influente, absorberont tous les pouvoirs et seront la nation, toute la nation, car c’est à quoi ils aspirent. Ils reconnaissent la reine, mais ils lui imposent des ministres ; ils reconnaissent la législature, mais ils constituent une Chambre et tiennent l’autre sous leur influence ; ils reconnaissent la classe moyenne, mais ils commandent ses suffrages et s’efforcent de nourrir dans son sein les habitudes d’une dégradante servilité ; ils reconnaissent la classe industrielle, mais ils restreignent ses transactions et paralysent ses entreprises ; ils reconnaissent la classe ouvrière, mais ils taxent son travail, et ses os, et ses muscles, et jusqu’au pain qui la nourrit. (Applaudissements.) J’accorde qu’ils furent autrefois « la nation ». Il fut un temps où les possesseurs du sol en Angleterre formaient la nation, et où il n’y avait pas d’autre pouvoir reconnu. Mais qu’était-ce que ce temps-là ? Un temps où le peuple était serf, était « chose », pouvait être fouetté, marqué et vendu. Ils étaient la nation ! Mais où étaient alors tous les faits de la vie ? où étaient alors la littérature et la science ? Le philosophe ne sortait de sa retraite que pour être, au milieu de la foule ignorante, un objet de défiance et peut-être de persécution ; bon tout au plus à vendre au riche un secret magique pour gagner le cœur d’une dame ou paralyser le bras d’un rival. Ils étaient la nation ! et on les voyait s’élancer dans leur armure de fer, conduisant leurs vassaux au carnage, tandis que les malheureux qu’ils foulaient aux pieds n’avaient d’autres chances pour s’en défaire que de les écraser, comme des crustacés dans leur écaille. Ils étaient la nation ! et quel était alors le sort des cités ? Tout citoyen qui avait quelque chose à perdre était obligé de cher-

  1. Propriétaire du théâtre de Covent-Garden.