Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/123

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d’autre raison de le jeter sur des plages étrangères. — Mais recherchons un moment la possibilité pratique de ce système d’émigration. Nous sommes dans une période de détresse accablante ; dans quelle mesure l’émigration pourrait-elle y remédier ? Et d’abord, comment transporter un million et demi de pauvres à travers les mers ? Consultez l’histoire ; fait-elle mention qu’aucun gouvernement, quelque puissant qu’il fût, ait jamais fait traverser l’Océan à une armée de cinquante mille hommes ? Et puis, que ferez-vous d’un million et demi de pauvres, dans le Canada, par exemple ? Même en Angleterre, malgré l’accumulation des capitaux et des ressources de dix siècles, vous trouvez que les maintenir est déjà une charge assez lourde. Qui donc les maintiendra au Canada ? Ceux qui s’adressent à sir Robert Peel imaginent-ils qu’il soit possible de jeter sur une terre déserte une population succombant sous le poids d’une détresse invétérée, sans apporter sur cette terre le capital par lequel cette population sera employée ? Si vous transportez dans de vastes solitudes une population nombreuse, elle doit comprendre tous les éléments de société et de vie qui la composent dans la mère patrie. Vous voyez bien qu’il vous faudra transporter en même temps des fermiers, des armateurs, des fabricants et même des banquiers… (Applaudissements prolongés qui ne nous permettent pas de saisir la fin de la phrase.) N’est-il pas déplorable de voir, dans cette métropole, proposer de tels remèdes à de telles souffrances ? Je crois apercevoir devant moi quelques-uns des signataires de la pétition, et je m’en réjouis ; ce sera peut-être l’occasion d’imprimer une autre direction à l’esprit de la cité de Londres. (Écoutez !) Ces messieurs ont été circonvenus. Ainsi que je l’ai dit souvent, tout se fait moutonnièrement dans cette cité. Il semble que ses habitants ont renoncé à penser par eux-mêmes. Si j’avais à faire prévaloir quelque résolution, comment pensez-vous que je m’y prendrais ? Je m’adresserais à M. tel, puis à M. tel, et, quand j’aurais une demi-douzaine de signatures, les autres viendraient à la file. Personne ne lirait le mémoire, mais chacun le signerait. (Rires et cris : Oui, cela se ferait ainsi.) — Je dois quelques mots d’avis à ceux de mes amis, parmi les membres de la Ligue, qui ont attaché