Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quelques objets contre des écus. Mais bientôt l’argent abonderait chez nous, il y serait déprécié ; en d’autres termes, nos produits seraient chers et nous ne pourrions plus en vendre. La défense de rien importer équivaudrait à celle de rien exporter.

Dans aucun pays, le système protecteur n’a été poussé jusque-là. Par cela seul qu’il est irrationnel, on ne l’adopte jamais complétement. On y fait de nombreuses exceptions, et il est tout naturel, comme on va le voir, que l’on place dans l’exception, avant tout et principalement, le produit agricole.

Le système protecteur repose sur cette méprise : il considère dans chaque produit, non point son utilité pour la consommation, mais son utilité pour le producteur. Il dit : le fer est utile en ce qu’il procure du travail aux maîtres de forges, le blé est utile en ce qu’il procure du travail au laboureur, etc. C’est là une absurde pétition de principe. Mais cette absurdité, fort difficile à démêler à l’égard de beaucoup de produits, saute aux yeux, quant aux produits agricoles, quand le besoin s’en fait sentir. Dès que la disette arrive, les esprits les plus prévenus comprennent parfaitement que le blé est fait pour l’estomac, et non l’estomac pour le blé. — Et voilà pourquoi, aux premiers symptômes de famine, la théorie protectrice s’évanouit, et la porte s’ouvre aux blés étrangers.

Ainsi, la protection à la plus importante des productions agricoles, celle des céréales, est complétement illusoire ; car elle ne manque jamais d’être retirée, précisément aux époques où elle aurait quelque efficacité. — Quand la récolte est bonne, il n’y a pas à craindre l’invasion des blés étrangers, et notre loi stipule la protection, mais ne l’opère pas. Quand la récolte manque, c’est alors que l’introduction du blé étranger est provoquée par la différence des prix ; c’est alors aussi que le principe de la protection, qui