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70. — FUNESTES ILLUSIONS.


Journal des Économistes, mars 1848.


les citoyens font vivre l’état.
l’état ne peut faire vivre les citoyens.


Il m’est quelquefois arrivé de combattre le Privilége par la plaisanterie. C’était, ce me semble, bien excusable. Quand quelques-uns veulent vivre aux dépens de tous, il est bien permis d’infliger la piqûre du ridicule au petit nombre qui exploite et à la masse exploitée.

Aujourd’hui, je me trouve en face d’une autre illusion. Il ne s’agit plus de priviléges particuliers, il s’agit de transformer le privilége en droit commun. La nation tout entière a conçu l’idée étrange qu’elle pouvait accroître indéfiniment la substance de sa vie, en la livrant à l’État sous forme d’impôts, afin que l’État la lui rende en partie sous forme de travail, de profits et de salaires. On demande que l’État assure le bien-être à tous les citoyens ; et une longue et triste procession, où tous les ordres de travailleurs sont représentés, depuis le roi des banquiers jusqu’à l’humble blanchisseuse, défile devant le grand organisateur pour solliciter une assistance pécuniaire.

Je me tairais s’il n’était question que de mesures provisoires, nécessitées et en quelque sorte justifiées par la commotion de la grande révolution que nous venons d’accomplir ; mais ce qu’on réclame, ce ne sont pas des remèdes exceptionnels, c’est l’application d’un système. Oubliant que la bourse des citoyens alimente celle de l’État, on veut que la bourse de l’État alimente celle des citoyens.

Ah ! ce n’est pas avec l’ironie et le sarcasme que je m’efforcerai de dissiper cette funeste illusion ; car, à mes yeux