Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 2.djvu/445

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Le pont de la Bidassoa.


Un homme partit de Paris, rue Hauteville, avec la prétention d’enseigner aux nations l’économie politique. Il arriva devant la Bidassoa. Il y avait beaucoup de monde sur le pont, et un aussi nombreux auditoire ne pouvait manquer de tenter notre professeur. Il s’appuya donc contre le garde-fou, tournant le dos à l’Océan ; et, ayant eu soin, pour prouver son cosmopolitisme, de mettre sa colonne vertébrale en parfaite coïncidence avec la ligne idéale qui sépare la France de l’Espagne, il commença ainsi :

« Vous tous qui m’écoutez, vous désirez savoir quels sont les bons et les mauvais échanges. Il semble d’abord que je ne devrais avoir rien à vous apprendre à cet égard ; car enfin, chacun de vous connaît ses intérêts, au moins autant que je les connais moi-même ; mais l’intérêt est un signe trompeur, et je fais partie d’une association où l’on méprise ce mobile vulgaire. Je vous apporte une autre règle infaillible et de l’application la plus facile. Avant d’entrer en marché avec un homme, faites-le jaser. Si, lui ayant parlé français, il vous répond en espagnol, ou vice versâ, n’allez pas plus loin, l’épreuve est faite, l’échange est de maligne nature. »

Une voix. — Nous ne parlons ni espagnol ni français ; nous parlons tous la même langue, l’escualdun, que vous appelez basque.

— Malepeste ! se dit intérieurement l’orateur, je ne m’attendais pas à l’objection. Il faut que je me retourne. — Eh bien ! mes amis, voici une règle tout aussi aisée : Ceux d’entre vous qui sont nés de ce côté-ci de la ligne (montrant l’Espagne) peuvent échanger, sans inconvénient, avec tout le pays qui s’étend à ma droite jusqu’aux colonnes d’Hercule, et pas au delà ; et ceux qui sont nés de ce côté