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Un jour, il recueillit dans un journal ce mot célèbre : La légalité nous tue. Ah ! s’écria-t-il, je ne mourrai pas sans avoir embrassé M. Viennet.

Il est pourtant bon de dire que, quand la légalité lui profitait, il s’y accrochait comme un vrai dogue. Quelques hommes sont ainsi faits ; ils sont rares, mais il y en a.

Tel était le maire d’Énios. Et maintenant que j’ai décrit et le théâtre et le héros de mon histoire, je vais la mener bon train et sans digressions.

Vers l’époque où les Parisiens allaient cherchant dans les Pyrénées des mines d’asphalte, déjà mises en actions au capital d’un nombre indéfini de millions, M. le maire donna l’hospitalité à un voyageur qui oublia chez lui deux ou trois précieux numéros du Moniteur industriel… Il les lut avidement, et je laisse à penser l’effet que dut produire sur une telle tête une telle lecture. Morbleu ! s’écria-t-il, voilà un gazetier qui en sait long. Défendre, empêcher, repousser, restreindre, prohiber, ah ! la belle doctrine ! C’est clair comme le jour. Je disais bien, moi, que les hommes se ruineraient tous, si on les laissait libres de faire des trocs ! Il est bien vrai que la légalité nous tue quelquefois, mais souvent aussi c’est l’absence de légalité. On ne fait pas assez de lois en France, surtout pour prohiber. Et, par exemple, on prohibe aux frontières du royaume, pourquoi ne pas prohiber aux frontières des communes ? Que diable, il faut être logique.

Puis, relisant le Moniteur industriel, il faisait à sa localité l’application des principes de ce fameux journal. Mais cela va comme un gant, disait-il, il n’y a qu’un mot à changer ; il suffit de substituer travail communal à travail national.

Le maire d’Énios se vantait, comme M. Chasseloup-Laubat, de n’être point théoricien ; aussi, comme son modèle, il n’eut ni paix ni trêve qu’il n’eût soumis tous ses admi-