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Le Gave donnait le mouvement à des moulins et à des scieries ; les troupeaux fournissaient du lait et de la laine ; les champs, du blé ; la cour, de la volaille ; les vignes, un vin généreux ; la forêt, un combustible abondant. Quand un habitant du village était parvenu à faire quelques épargnes, il se demandait à quoi il valait mieux les consacrer, et le prix des choses le déterminait. Si, par exemple, avec ses économies il avait pu opter entre fabriquer un chapeau ou bien élever deux moutons, dans le cas où de l’autre côté du Gave on ne lui aurait demandé qu’un mouton pour un chapeau, il aurait cru que faire le chapeau eût été un acte de folie ; car la civilisation, et avec elle le Moniteur industriel, n’avaient pas encore pénétré dans ce village.

Il était réservé au maire d’Énios de changer tout cela. Ce n’est pas un maire comme un autre que le maire d’Énios : c’était un vrai pacha.

Jadis, Napoléon l’avait frappé sur l’épaule. Depuis, il était plus Napoléoniste que Roustan, et plus Napoléonien que M. Thiers.

« Voilà un homme, disait-il, en parlant de l’empereur ; celui-là ne discutait pas, il agissait ; il ne consultait pas, il commandait. C’est ainsi qu’on gouverne bien un peuple. Le Français surtout a besoin d’être mené à la baguette. »

Quand il avait besoin de prestations pour les routes de sa commune, il mandait un paysan : Combien dois-tu de corvées (on dit encore corvées dans ce pays, quoique prestations soit bien mieux). — Trois, répond le paysan. — Combien en as-tu déjà fait ? — Deux. — Donc il t’en reste deux à faire. — Mais, monsieur le Maire, deux et deux font… — Oui, ailleurs, mais…

Dans le pays béarnois,
Deux et deux font trois ;

et le paysan faisait quatre corvées, je veux dire prestations.