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Bon ! Me voilà bien empêché dès le début. J’aimerais mieux avoir l’algèbre à prouver que Peau d’âne à conter.

Ô Balzac ! ô Dumas ! ô Suë ! ô génies de la fiction et du roman moderne, vous qui, dans des volumes plus pressés que la grêle d’août, pouvez dévider, sans les embrouiller, tous les fils d’une interminable intrigue, dites-moi au moins s’il vaut mieux peindre le héros avant la scène ou la scène avant le héros.

Peut-être me direz-vous que ce n’est ni le sujet ni le lieu, mais le temps qui doit avoir la priorité.

Eh bien donc, c’était l’époque où les mines d’asphalte…

Mais je ferai mieux, je crois, de conter à ma manière.

Énios est une commune adossée du côté du midi à une montagne haute et escarpée, en sorte que l’ennemi (c’est de l’échange dont je parle), malgré sa ruse et son audace, ne peut, comme on dit en stratégie, ni tomber sur ses derrières, ni le prendre à revers.

Au nord, Énios s’étale sur la croupe arrondie de la montagne dont un Gave impétueux baigne le pied gigantesque.

Ainsi protégé, d’un côté par des pics inaccessibles, de l’autre par un torrent infranchissable, Énios se trouverait complétement isolé du reste de la France, si messieurs des ponts et chaussées n’avaient jeté au travers du Gave un pont hardi, dont, pour me conformer au faire moderne, je suis tenté de vous donner la description et l’histoire.

Cela me conduirait tout naturellement à faire l’histoire de notre bureaucratie : je raconterais la guerre entre le génie civil et le génie militaire, entre le conseil municipal, le conseil général, le conseil des ponts et chaussées, le conseil des fortifications et une foule d’autres conseils ; je peindrais les armes, qui sont des plumes, et les projectiles, qui sont des dossiers. Je dirais comment l’un voulait le