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autres profitent plus que nous de nos propres progrès. Heureusement il y a compensation, et nous profitons infailliblement des progrès d’autrui.

Ceci mérite d’être brièvement expliqué.

Prenez les choses comme vous voudrez, par le haut ou le bas, mais suivez-les attentivement et vous reconnaîtrez toujours ceci :

Que les avantages qui favorisent le producteur et les inconvénients qui le gênent ne font que glisser sur lui, sans pouvoir s’y arrêter. À la longue, ils se traduisent en avantages ou en inconvénients pour le consommateur, qui est le public. Ils se résument en un accroissement ou une diminution des jouissances générales. Je ne veux pas disserter ici, cela viendra plus tard peut-être. Procédons par voie d’exemples.

Je suis menuisier et fais des planches à coups de hache. On me les paye 4 fr. la pièce, car il me faut un jour pour en faire une. — Désirant améliorer mon sort, je cherche un moyen plus expéditif, et j’ai le bonheur d’inventer la scie. Me voilà faisant 20 planches par jour et gagnant 80 fr. — Oui, mais ce gros profit attire l’attention. Chacun veut avoir une scie ; et bientôt on ne me donne plus que 4 fr. pour la façon de 20 planches. — Le consommateur économise les 19/20 de sa dépense, tandis qu’il ne me reste plus que l’avantage d’avoir, comme lui, des planches avec moins de peine quand j’en ai besoin[1].

Autre exemple, en sens inverse.

On met sur le vin un impôt énorme, perçu à la récolte. C’est une avance exigée du producteur, dont il s’efforce d’obtenir le remboursement du consommateur. La lutte sera longue, la souffrance longtemps partagée. Le vigneron sera réduit peut-être à arracher sa vigne. La valeur de sa

  1. V. tome IV, pages 36 à 45. (Note de l’éditeur.)