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— Que pourrait faire l’État en cette occurrence ?

— Prohiber l’échange.

— En ce cas, Robinson ferait ses vêtements comme autrefois. Qui l’en empêche, si c’est son avantage ?

— Il a essayé ; mais il ne peut les faire aussi vite qu’il fait les légumes qu’on lui demande en retour. Et voilà pourquoi il persiste à échanger. Vraiment, à défaut d’un État, qui n’a pas besoin de raisonner lui, et procède par voie d’injonctions, ne pourrions-nous pas envoyer au pauvre Robinson un numéro du Moniteur industriel pour lui ouvrir les yeux ?

— Mais d’après ce que vous me dites, il doit être plus riche qu’avant.

— Ne pouvez-vous comprendre que l’insulaire offre une quantité toujours plus grande de vêtements contre une quantité de légumes qui reste la même ?

— C’est pour cela que l’affaire devient toujours meilleure pour Robinson.

— Il est ruiné, vous dis-je. C’est un fait. Vous ne prétendez pas raisonner contre un fait.

— Non ; mais contre la cause que vous lui assignez. Faisons donc ensemble un voyage dans l’île… Mais que vois-je ! Pourquoi me cachiez-vous cette circonstance ?

— Laquelle ?

— Voyez donc comme Robinson est changé ! Il est devenu paresseux, indolent, désordonné. Au lieu de bien employer les heures que son marché mettait à sa disposition, il dissipe ces heures-là et les autres. Son jardin est en friche ; il ne fait plus ni vêtements ni légumes ; il gaspille ou détruit ses anciens ouvrages. S’il est ruiné, qu’allez-vous chercher une autre explication ?

— Oui ; mais le Portugal ?

— Le Portugal est-il paresseux ?

— Il l’est, je n’en saurais disconvenir.