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— Avec ce qu’elle donnerait de moins aux comédiens et aux modistes.

— Voulez-vous insinuer par là que, dans l’état social, les hommes doivent exclure toute diversion, tous les arts, et se couvrir simplement au lieu de se décorer ?

— Ce n’est pas ma pensée. Je dis que le travail qui est employé à une chose est pris sur une autre ; que c’est au bon sens d’un peuple, comme à celui de Robinson, de choisir. Seulement il faut qu’on sache bien que le luxe n’ajoute rien au travail ; il le déplace.


— Est-ce que nous pourrions étudier aussi le traité de Méthuen dans l’île du Désespoir ?

— Pourquoi pas ? Allons y faire une promenade… Voyez : Robinson est occupé à se faire des habits pour se garantir du froid et de la pluie. Il regrette un peu le temps qu’il y consacre ; car il faut manger aussi, et son jardin réclame tous ses soins. Mais voici qu’une pirogue aborde l’île. L’étranger qui en descend montre à Robinson des habits bien chauds et propose de les céder contre quelques légumes, en offrant de continuer à l’avenir ce marché. Robinson regarde d’abord si l’étranger est armé. Le voyant sans flèches ni tomahawk, il se dit : Après tout, il ne peut prétendre à rien que je n’y consente ; examinons. — Il examine les habits, suppute le nombre d’heures qu’il mettrait à les faire lui-même, et le compare au nombre d’heures qu’il devrait ajouter à son travail horticole pour satisfaire l’étranger. — S’il trouve que l’échange, en le laissant tout aussi bien nourri et vêtu, met quelques-unes de ses heures en disponibilité, il accepte, sachant bien que ces heures disponibles sont un profit net, soit qu’il les emploie au travail ou au repos. — Si, au contraire, il croit le marché désavantageux, il le refuse. Qu’est-il besoin, en ce cas, qu’une force extérieure le lui interdise ? Il sait se l’interdire lui-même.