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— Et je suis sûr qu’il a fait un profit dessus. Pourquoi n’êtes-vous pas allé vous-même à la fabrique ?

— C’est trop loin, ou, pour mieux dire, je ne sais où cela est, et n’ai pas le temps de m’en informer.

— Vous vous adressez donc aux marchands ? On dit que ce sont des parasites qui vendent plus cher qu’ils n’achètent, et ont l’audace de se faire payer leurs services.

— Cela m’a toujours paru fort dur ; car enfin, ils ne façonnent pas le drap comme je fais le cuir ; tel qu’ils l’ont acheté, ils me le vendent ; quel droit ont-ils de bénéficier ?

— Aucun. Ils n’ont que celui de vous laisser aller chercher votre drap à Mazamet et vos cuirs à Buenos-Ayres.

— Comme je lis quelquefois la Démocratie pacifique, j’ai pris en horreur les marchands, ces intermédiaires, ces agioteurs, ces accapareurs, ces brocanteurs, ces parasites, et j’ai bien souvent essayé de m’en passer.

— Eh bien ?

— Eh bien ! je ne sais comment cela se fait, mais cela a toujours mal tourné. J’ai eu de mauvaise marchandise, ou elle ne me convenait pas, ou l’on m’en faisait prendre trop à la fois, ou je ne pouvais choisir ; j’en étais pour beaucoup de frais, de ports de lettres, de temps perdu ; et ma femme, qui a bonne tête, celle-là, et qui veut ce qu’elle veut, m’a dit : Jacques, fais des souliers[1].

— Et elle a eu raison. En sorte que vos échanges se faisant par l’intermédiaire des marchands et négociants, vous ne savez pas même de quel pays sont venus le blé qui vous nourrit, le charbon qui vous chauffe, le cuir dont vous faites des souliers, les clous dont vous les cuirassez, et le marteau qui les enfonce.

— Ma foi, je ne m’en soucie guère, pourvu qu’ils arrivent.

  1. V. le chap. vi du pamphlet Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, tome V, page 356. (Note de l’éditeur.)