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rence dans vos ventes, vous ne devez pas en profiter dans vos achats.

— Voudriez-vous m’éclaircir un peu plus la chose ?

— Volontiers. Quand vous faites des souliers, quel est votre but ?

— De gagner quelques écus.

— Et si l’on vous défendait de dépenser ces écus, que feriez-vous ?

— Je cesserais de faire des souliers.

— Votre vrai but n’est donc pas de gagner des écus ?

— Il va sans dire que je ne recherche les écus qu’à cause de ce que je puis me procurer avec : du pain, du vin, un logis, une blouse, un paroissien, une école pour mon fils, un trousseau pour ma fille, et de belles robes pour ma femme[1].

— Fort bien. Négligeons donc les écus pour un instant, et disons, pour abréger, que lorsque vous faites des souliers c’est pour avoir du pain, du vin, etc. Mais alors pourquoi ne faites-vous pas vous-même ce pain, ce vin, ce paroissien, ces robes ?

— Miséricorde ! pour faire seulement une page de ce paroissien, ma vie entière ne suffirait pas.

— Ainsi, quoique votre état soit bien modeste, il met en votre pouvoir mille fois plus de choses que vous n’en pourriez faire vous-même[2].

— C’est assez plaisant, surtout quand je songe qu’il en est ainsi de tous les états. Pourtant, comme vous dites, le mien n’est pas des meilleurs, et j’en aimerais mieux un autre, celui d’évêque, par exemple.

— Soit. Mais mieux vaut encore être cordonnier et échanger des souliers contre du pain, du vin, des robes, etc., que

  1. V. le pamphlet Maudit argent, tome V, page 64. (Note de l’éditeur.)
  2. V. les chap. i et iv du tome VI (Note de l’éditeur.)