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— Pas autre chose ; le droit de troquer librement nos services entre nous.

— Ainsi, libre-échange et échange libre, c’est blanc bonnet et bonnet blanc ?

— Exactement.

— Eh bien ! tout de même, j’aime mieux échange libre. Je ne sais si c’est un effet de l’habitude, mais libre-échange me fait encore peur. Mais pourquoi le gros monsieur ne nous a-t-il pas dit ce que vous me dites ?

— C’est, voyez-vous, qu’il s’agit d’une discussion assez singulière entre des gens qui veulent la liberté pour tout le monde et d’autres qui la veulent aussi pour tout le monde, excepté pour leurs pratiques. Peut-être le gros monsieur est-il du nombre de ces derniers.

— En tout cas, il peut se vanter de m’avoir fait une fière peur, et je vois bien que j’ai été dupe comme le fut feu mon grand-père.

— Est-ce que feu votre grand-père avait pris aussi le libre-échange pour un dragon à trois têtes ?

— Il m’a souvent conté que dans sa jeunesse on avait réussi à l’exalter beaucoup contre une certaine madame Véto. Il se trouva que c’était une loi qu’il avait prise pour une ogresse.

— Cela prouve que le peuple a encore bien des choses à apprendre, et qu’en attendant qu’il les sache il ne manque pas de personnes, comme votre gros monsieur, disposées à abuser de sa crédulité[1].

— En sorte donc que tout se réduit à savoir si chacun a le droit de faire ses affaires, ou si ce droit est subordonné aux convenances du gros monsieur ?

— Oui ; la question est de savoir si, subissant la concur-

  1. V. tome IV, pages 121 à 123. (Note de l’éditeur.)