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En bonne justice, et pour compléter le bilan, il faudrait encore lui imputer de nombreuses pertes accessoires, telles que : frais de surveillance, formalités dispendieuses, incertitudes commerciales, fluctuations de tarifs, opérations contrariées, chances de guerre multipliées, contrebande, répression, etc.

Mais je me restreins ici aux conséquences nécessaires de la protection.

Une anecdote rendra peut-être plus claire la démonstration de notre problème.

Un maître de forges avait besoin de bois pour son usine. Il avait traité avec un pauvre bûcheron, quelque peu clerc, qui, pour 40 sous, devait bûcher du matin au soir, un jour par semaine.

La chose paraîtra singulière ; mais il advint qu’à force d’entendre parler protection, travail national, supériorité de l’étranger, prix de revient, etc., notre bûcheron devint économiste à la manière du Moniteur industriel : si bien qu’une pensée lumineuse se glissa dans son esprit en même temps qu’une pensée de monopole dans son cœur.

Il alla trouver le maître de forges, et lui dit :

— Maître, vous me donnez 2 francs pour un jour de travail ; désormais vous me donnerez 4 francs et je travaillerai deux jours.

— L’ami, répondit le maître de forges, j’ai assez du bois que tu refends dans la journée.

— Je le sais, dit le bûcheron ; aussi j’ai pris mes mesures. Voyez ma hache, comme elle est émoussée, ébréchée. Je vous assure que je mettrai deux jours pleins à hacher le bois que j’expédie maintenant en une journée.

— Je perdrai 2 francs à ce marché.

— Oui, mais je les gagnerai, moi ; et, relativement au bois et à vous, je suis producteur et vous n’êtes que consommateur. Le consommateur ! cela mérite-t-il aucune pitié ?