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le mécanisme social permette à ceux qui peuvent perdre de les assumer[1] ? Et d’ailleurs n’est-ce pas dans les rangs des travailleurs que se recrute constamment, à toute heure, la bourgeoisie ? N’est-ce pas au sein du peuple que se forment ces capitaux, objet de tant de déclamations si insensées ? Où conduit une telle doctrine ? Quoi ! par cela seul qu’un ouvrier aura toutes les vertus par lesquelles l’homme s’affranchit du joug des besoins immédiats, parce qu’il sera laborieux, économe, ordonné, maître de ses passions, probe ; parce qu’il travaillera avec quelque succès à laisser ses enfants dans une condition meilleure que celle qu’il occupe lui-même, — en un mot à fonder une famille, — on pourra dire que cet ouvrier est dans la mauvaise voie, dans la voie qui éloigne de la cause populaire, et qui mène dans cette région de perdition, la bourgeoisie ! Au contraire, il suffira qu’un homme n’ait aucune vue d’avenir, qu’il dissipe follement ses profits, qu’il ne fasse rien pour mériter la confiance de ceux qui l’occupent, qu’il ne consente à s’imposer aucun sacrifice, pour qu’il soit vrai de dire que c’est là l’homme-peuple par excellence, l’homme qui ne s’élèvera jamais au-dessus du travail le plus brut, l’homme dont les intérêts coïncideront toujours avec l’intérêt social bien entendu !

L’esprit se sent saisir d’une tristesse profonde à l’aspect des conséquences effroyables renfermées dans ces doctrines erronées, et à la propagation desquelles on travaille cependant avec tant d’ardeur. On entend parler d’une guerre sociale comme d’une chose naturelle, inévitable, forcément amenée par la prétendue hostilité radicale du peuple et de la bourgeoisie, semblable à la lutte qui a mis aux mains, dans tous les pays, l’aristocratie et la démocratie. Mais, encore une fois, la similitude est-elle exacte ? Peut-on assi-

  1. V. le chap. Salaires, des Harmonies. (Note de l’éditeur.)