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serait tenue sur ses gardes, et nous, nous aurions, qu’on nous pardonne le mot, pataugé dans des précautions et des distinctions subtiles, au milieu desquelles notre polémique aurait perdu toute force, et notre sincérité tout crédit.

Ensuite, le conseil lui-même implique que, au moins dans l’opinion de ceux qui le donnent, et sans doute dans la nôtre, la protection est chose désirable, puisque, pour l’arracher d’une des branches de l’activité nationale, il faudrait se servir d’une autre branche, à laquelle on laisserait croire que ses priviléges seront respectés ; puisqu’on parle de battre les manufactures par l’agriculture, et celle-ci par celle-là ? Or, c’est ce dont nous ne voulons pas. Au contraire, nous nous sommes engagés dans la lutte parce que nous croyons la protection mauvaise pour tout le monde.

C’est ce que nous nous sommes imposé la tâche de faire comprendre et de vulgariser. — Mais alors, dira-t-on, la lutte sera bien longue. — Tant mieux qu’elle soit longue, si cela est indispensable pour que le public s’éclaire.

Supposons que la ruse qu’on nous suggère ait un plein succès (succès que nous croyons chimérique), supposons que la première année les propriétaires des deux Chambres balayent tous les priviléges industriels, et que la seconde année, pour se venger, les manufacturiers emportent tous les priviléges agricoles.

Qu’arrivera-t-il ? En deux ans, la liberté commerciale sera dans nos lois, mais sera-t-elle dans nos intelligences ? Ne voit-on pas qu’à la première crise, au premier désordre, à la première souffrance, le pays s’en prendrait à une réforme mal comprise, attribuerait ses maux à la concurrence étrangère, invoquerait et ferait triompher bien vite le retour de la protection douanière ? Pendant combien d’années, pendant combien de siècles peut-être cette courte période de liberté, accompagnée de souffrances accidentelles, ne défrayerait-elle pas les arguments des prohibi-