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LE LIBRE-ÉCHANGE

quence, à Dieu ne plaise que je me sépare de lui sur ce terrain. Certes, les hommes qui veulent rendre sans aucune rémunération des services à la société, dans quelque branche que ce soit, militaire, ecclésiastique, littéraire ou autre, méritent toute notre sympathie, tous nos hommages, et plus encore si, comme les grands modèles qu’il nous cite, ils travaillent dans le dénûment et la douleur. Mais quoi ! serait-il généreux à la société de s’emparer du dévouement d’une classe particulière pour s’en faire un titre contre elle, pour l’imposer comme une obligation légale, et pour refuser à cette classe le droit commun de recevoir des services contre des services ? (Mouvement.)

Parmi les objections que l’on fait, non sur le principe de la propriété littéraire, mais à son application, il en est une qui me paraît très-sérieuse ; c’est l’état de la législation chez les peuples qui nous avoisinent. Il me semble que c’est là un de ces progrès à l’occasion desquels se manifeste le plus la solidarité des nations. À quoi servirait que la propriété littéraire fût reconnue en France, si elle ne l’était pas en Belgique, en Hollande, en Angleterre ; si les imprimeurs et libraires de ces pays pouvaient impunément violer cette propriété ? Tel est l’état des choses actuel, dira-t-on, et il n’empêche pas que notre législation n’ait accordé aux auteurs l’usufruit de leurs œuvres. L’inconvénient ne serait pas pire quant à la propriété.

Mais tout le monde sait dans quelle position anormale la contrefaçon place notre librairie relativement aux ouvrages des auteurs vivants. Que serait-ce donc si la propriété littéraire eût été reconnue en France ? si les œuvres de Corneille, de Racine et de tous les grands hommes des siècles passés étaient encore grevées d’un droit d’auteur dont les éditeurs belges s’affranchiraient ? Aujourd’hui, il y a au moins un fonds immense d’ouvrages pour la reproduction