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LE LIBRE-ÉCHANGE

Notre législation actuelle ne me paraît fondée sur aucun principe. Ou la propriété littéraire est un droit supérieur à la loi, et alors la loi ne doit faire autre chose que le constater, le régler et le garantir ; ou l’œuvre littéraire appartient au public, et, en ce cas, on ne voit pas pourquoi l’usufruit est attribué à l’auteur.

Il me semble que cette disposition de la loi se ressent des idées dont notre ancien droit public avait imbu les esprits. La Convention s’est substituée au Roi ; elle a cru faire envers les auteurs un acte de munificence qu’elle était maîtresse de régler et de limiter ; elle a supposé que le fond du droit était en elle et non dans l’auteur, et alors elle en a cédé ce qu’elle a jugé à propos d’en céder. Mais, en ce cas, pourquoi cette solennelle déclaration du droit ?

… Un écrivain de talent a consacré des pages éloquentes à combattre, dans son principe même, la propriété littéraire. Il se fonde sur ce qu’il y a de triste et de dégradant, selon lui, à voir le génie chercher sa récompense dans un peu d’or. Je ne puis m’empêcher de craindre qu’il n’y ait dans cette manière de juger un reste de préventions aristocratiques, et que l’auteur n’ait cédé, à son insu, à ce sentiment de mépris pour le travail, qui était le caractère distinctif des anciens possesseurs d’esclaves, et qui nous est inculqué à tous avec l’éducation universitaire. Les écrivains sont-ils d’une autre nature que les hommes ? N’ont-ils pas des besoins à satisfaire, une famille à élever ? Y a-t-il quelque chose de méprisable en soi à recourir pour cela au travail intellectuel ? Les mots mercantilisme, industrialisme, individualisme, s’accumulent sous la plume de M. Blanc. Est-ce donc une chose basse, ignoble, honteuse, d’échanger librement des services, parce que l’or sert d’intermédiaire à ces échanges ? Sommes-nous tous nobles par nature ? descendons-nous des dieux de l’Olympe ?

Après avoir flétri ce sentiment, je pourrais dire cette